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Entretien avec Lennart Meri. Libération, le 8 décembre 2000
08.12.2000

Le président Meri vante les efforts de l'Estonie, candidate à l'UE, et l'apport des petits pays:
«S'élargir, c'est le but même de l'Union»



Lennart Meri, ex-dissident et écrivain, préside l'Estonie, le plus petit des trois Etats baltes (1,4 million d'habitants), un candidat sérieux à l'UE en raison du succés de ses réformes économiques et de la démocratisation. De passage à Paris avant de se rendre à Nice, le chef de l'Etat, un polyglotte qui parle le français, a expliqué à Liberation sa vision de l'Europe.

Qu'attendez-vous de ce sommet?

Pour l'Estonie et pour les autres candidats, le sommet devrait donner une date d'adhésion: 2003 serait l'idéal. Notre peuple a eu la volonté, surtout la volonté du cæur, de faire un travail dur pour se préparer à devenir membre. Et j'en suis fier. Nice doit lui apporter une réponse morale, lui dire que ses efforts vont être récompensés.

Comment voyez-vous votre place ?

Nous voulons que l'UE soit une organisation forte et qu'elle ait une voix politique puissante. En même temps, nous voulons aussi presque l'impossible: que les petits pays, et pas seulement les grands, aient la possibilité de se faire entendre dans cette symphonie européenne. Pendant les pauses, dans une symphonie, on entend bien jouer les flûtes. Je suis sûr que les manières démocratiques européennes trouveront une solution.

Vous sentez-vous bien acceptés par les membres de l'UE?

Il y a cette idée étrange selon laquelle l'élargissement coûte cher, que l'argent des travailleurs en France ou en Italie part pour un peuple inconnu du Nord. Mais c'est une façon de penser du XIXe siècle. L'Europe a besoin d'un élargissement. L'UE n'est pas un événement sportif avec un début et une fin. Le processus d'élargissement est le but même de l'UE, ce doit être un processus infini au nom des principes européens et démocratiques.

N'avez-vous pas peur que les petits pays se perdent dans l'Europe?

Nous avons une réponse très estonienne. Premièrement, c'est notre rôle de dire que nous avons cette peur. Deuxièmement, l'Europe est le seul cadre qui donne une chance aux cultures et aux langues très petites. Pourquoi l'Europe, un territoire finalement pas très grand, est-elle devenue cette grande machine de la civilisation contemporaine? Justement à cause des cultures très diverses qui ont cohabité au fil de l'histoire.

Vous avez recouvré votre souveraineté en 1991. Seriez-vous prêt à en céder dans le cadre de l'UE?

L'Estonie a survécu cinq mille ans comme région, comme culture. Ce qui veut dire qu'il y avait une volonté de compromis assez forte. Ma réponse est donc affirmative.

On entend beaucoup en Estonie s'exprimer la peur que «Bruxelles nous dirige comme, avant, Moscou».

C'est une peur banale, même dans les petites familles. Mais il faut garder la mesure: l'UE n'est pas une caserne. Et ce n'est pas l'opinion des Estoniens. Nous savons qu'il n'existe pas dans ce monde de pays qui soit absolument souverain.

S'ils voient encore reculer leur date d'adhésion, les Estoniens ne risquent-ils pas de se décourager?

L'Estonie est tellement petite que, d'une façon ou d'une autre, nous serons bientôt membres de l'UE. Un petit pays, c'est comme le kayak d'un esquimau: il peut faire sans problème un tour à 180 degrés. Pour un grand navire, c'est impossible. L'optimisme estonien est épouvantable. Parfois, ça n'est pas si mal d'être un petit pays.

Pourquoi finalement voulez-vous tant entrer dans l'UE?

En Estonie, nous avons le sentiment d'avoir perdu un demi-siècle pendant l'occupation soviétique (de l'annexion par l'URSS en 1944 jusqu'à 1991, ndlr). C'est très pénible. Nous voulons revenir à l'Europe. En Estonie, on s'intéresse beaucoup à l'astronomie, à la cosmologie... Notre façon de penser est très philosophique. Pour un Estonien, la question: «Notre langue va-t-elle perdurer?» est bien réelle. Les grands ne se la posent jamais. Voilà pourquoi les Estoniens seront les plus européens.


Recueilli par Véronique Soulé

 

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