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Lennart Meri: «Nous avons besoin de l'Otan et de l'UE», Pierre Bocev, Le Figaro, 26.7.2001
26.07.2001

A 72 ans, le président estonien Lennart Meri est une autorité morale dont l'influence dépasse les frontières de son petit État balte. L'ancien dissident, qui ne pourra pas être réélu pour un troisième mandat le mois prochain, a répondu aux questions du Figaro dans sa résidence privée à Viimsi.

Votre pays espère être invité l'année prochaine à rejoindre l'Otan. Est-ce toujours la peur ancestrale de la Russie?
La semaine dernière encore, Vladimir Poutine a réaffirmé que le seul moyen de régler le problème tchétchène était le recours à l'armée. Cela répond-il à votre question? Ce n'est pourtant pas la peur qui nous motive. Ce dont il s'agit, c'est le droit naturel de toute nation à choisir librement l'organisation qu'elle estime la mieux placée pour lui apporter la sécurité. Nous étions naïfs d'avoir oublié cela à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Nous n'allons plus jamais répéter notre erreur. Les petites nations ont les mêmes droits et les mêmes obligations que les grandes. C'est un principe qui a fait défaut à Munich en 1938. Ne nous faisons pas d'illusions. Nous ne vivrons jamais dans un monde idéal ou au paradis. Nous aurons toujours besoin de l'Otan et de l'Union européenne. Elles garantissent le dialogue et, au besoin, le recours à la force pour contrer toute agression.

Moscou, pourtant, multiplie les mises en garde.
Cela ne manque pas de logique. La Russie essaie de défendre quelque chose qu'une partie de sa population tient toujours pour un objectif merveilleux, la restauration des frontières de l'ancien empire. Il est difficile pour la Russie de comprendre que son avenir est dans sa culture, dans la propriété privée, dans le marché libre. Pour faire passer ce message, il faudra plus de temps qu'il n'en a fallu aux bolcheviques pour imposer les principes contraires.

Craignez-vous une rétorsion russe si vous adhérez à l'Otan?
Les Russes ne peuvent pas faire grand-chose. Dans notre commerce bilatéral, nous avons toujours un système de double taxation. Il n'y a donc pas de relations économiques privilégiées dont la dénonciation puisse servir de levier. Et, de manière générale, la Russie est très intéressée à utiliser les ports estoniens pour l'exportation de son pétrole brut. Mais les Russes ont toujours usé et abusé d'un langage très cru à notre égard. L'année dernière encore, le ministre des Affaires étrangères a prétendu qu'en 1940 mon pays avait rejoint l'Union soviétique de son plein gré. Ce n'est pas une manière d'agir. Il est évident que l'Estonie est autant intéressée que, par exemple, la Finlande à avoir de bonnes relations avec la Russie.

Certains pays européens semblent néanmoins éprouver des réticences dès lors qu'il s'agit des États baltes et de l'Otan. Le président du Bundestag, Wolfgang Thierse, par exemple, a donné à entendre il y a deux mois que les relations germano-russes pesaient plus lourd que les souhaits des Baltes.
L'Allemagne ne répétera pas l'erreur de l'entente Hitler-Staline, j'en suis absolument convaincu. C'est cela qui a conduit au pacte Ribbentrop-Molotov et, par la suite, à la guerre mondiale. Je suis sûr que le gouvernement social-démocrate à Berlin est tout à fait disposé à tirer les leçons de l'histoire. Je ne me fais pas d'illusions. L'Allemagne est profondément divisée entre la poursuite de ses intérêts économiques et les intérêts d'une Europe unie. Tous les pays lorgnent vers de meilleurs marchés, et la Russie en est un énorme. Je sais également que Vladimir Poutine a pris une série de décisions pour améliorer les fondements légaux du marché russe. Je crains pourtant que la priorité accordée à la reconstruction de l'armée ne signifie que la Russie vivra, au moins partiellement, dans le souvenir glorieux des deux derniers siècles, au lieu de se tourner vers l'avenir. A long terme, l'appartenance de l'Estonie à l'Otan sera bénéfique à la Russie qui aura une frontière occidentale stable.

Vous attendez-vous à une adhésion à l'Union européenne au début de 2004 avec la «première vague» de l'élargissement?
Oui, je le pense. Je l'espère, en tout cas. Je sais qu'en Europe personne n'est très chaud à l'idée de l'élargissement. Les Européens croient toujours qu'ils devront payer. C'est dans une certaine mesure vrai: si vous voulez aller d'un endroit à un autre, il faut bien acheter un ticket de tramway ou un billet de train. Mais lorsque vous êtes arrivé à destination, vous vous trouverez dans un marché plus grand. Je reste persuadé que tout le monde, jusqu'au dernier agriculteur en Espagne et en Grèce, retirera de l'élargissement un petit profit. Pour ce qui est de l'Estonie, je place de grands espoirs dans notre secteur du tourisme. Nous avons à offrir quelque chose que le reste de l'Europe n'a pas: la quiétude.

Beaucoup d'Européens ont tendance à prendre les trois Etats baltes pour un tout, sans se soucier des différences.
Il y a des raisons. Nous avons tous les trois employé des tactiques similaires pour combattre par la voie légale l'occupation soviétique. Jusqu'à la reconquête de notre indépendance, nous agissions comme les doigts d'une même main. C'est ensuite que les différences ont commencé à apparaître. Dans l'économie, la culture, la langue, autant de domaines où nous nous distinguons les uns des autres. Il y autant de différence entre nos trois nations que par exemple entre un habitant du Nord de la France et un Corse. Nous y tenons énormément, car la russification au XIXe siècle et pendant l'occupation soviétique nous a fait comprendre que l'existence de notre langue et de nos traditions n'allait plus de soi. L'Union européenne nous permettra de garder ces spécificités.

Et les relations avec la France?
Des relations d'amitié. En ce qui me concerne personnellement, les années que j'ai passées au lycée Janson-de-Sailly font partie des périodes les plus heureuses de ma vie. Plus généralement, nombre de peintres ou d'écrivains estoniens se sont installés à Paris alors qu'ils ne parlaient pas, ou si peu, le français. Cela montre quelque chose. La France a toujours exercé sur nous une attraction forte, depuis les guerres napoléoniennes. Jacques Chirac vient pour la première fois dans cette partie de l'Europe. Je sais qu'il tient beaucoup à l'idée de l'unité européenne, mais qu'il est également convaincu que le maintien des identités nationales et régionales fait la beauté de l'idée européenne. Je ferai de mon mieux pour lui montrer ce que l'Estonie peut apporter à une Europe unie et à son bras sécuritaire, l'Otan.

 

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